Face à l’accumulation des dettes, les couples se trouvent souvent dans une spirale financière difficile à maîtriser. Le surendettement conjugal représente une épreuve qui peut fragiliser non seulement l’équilibre économique mais aussi la relation elle-même. Les statistiques de la Banque de France montrent que près de 120 000 dossiers de surendettement sont déposés chaque année, dont une proportion significative concerne des couples. Le réaménagement de la dette constitue alors une voie de sortie privilégiée pour retrouver une stabilité financière. Cette démarche implique des aspects juridiques complexes qui varient selon le régime matrimonial, le statut des dettes et les dispositifs légaux disponibles.
Les Fondements Juridiques du Surendettement au sein du Couple
Le cadre légal du surendettement conjugal s’articule autour de plusieurs textes fondamentaux. Le Code de la consommation, notamment dans ses articles L.711-1 et suivants, définit la situation de surendettement comme « l’impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ». Cette définition s’applique indifféremment aux personnes seules ou aux couples, mariés ou non.
Pour les couples mariés, le régime matrimonial joue un rôle déterminant dans la responsabilité face aux dettes. Sous le régime de la communauté légale, les dettes contractées pendant le mariage engagent généralement les deux époux, tandis que sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste en principe responsable de ses propres dettes.
La loi Neiertz de 1989, renforcée par diverses réformes dont la plus récente date de 2016 avec la loi Justice du XXIe siècle, a mis en place la procédure de surendettement gérée par la Commission de Surendettement. Cette instance administrative peut proposer différentes solutions, du simple réaménagement de dettes jusqu’à l’effacement partiel ou total dans les cas les plus graves.
Pour les couples pacsés, l’article 515-4 du Code civil prévoit une solidarité pour les dettes contractées par l’un des partenaires pour les besoins de la vie courante. Quant aux concubins, aucune solidarité légale n’existe, sauf si les deux personnes ont signé conjointement un contrat de crédit ou si l’un s’est porté caution pour l’autre.
La jurisprudence a précisé ces principes généraux. L’arrêt de la Cour de Cassation du 13 mars 2019 a notamment rappelé que la séparation du couple n’entraîne pas automatiquement la fin de la solidarité pour les dettes contractées durant l’union. De même, l’arrêt du 7 janvier 2020 a confirmé que le juge peut prononcer la déchéance du droit aux mesures de traitement du surendettement en cas de déclaration inexacte ou de mauvaise foi.
- Définition légale du surendettement (Articles L.711-1 et suivants du Code de la consommation)
- Impact du régime matrimonial sur la responsabilité des dettes
- Procédure administrative devant la Commission de Surendettement
- Spécificités juridiques selon le statut du couple (mariage, PACS, concubinage)
L’Élaboration d’un Plan de Réaménagement: Processus et Acteurs
La mise en place d’un plan de réaménagement de dettes pour un couple surendetté suit un processus structuré impliquant plusieurs acteurs institutionnels. La première étape consiste à déposer un dossier auprès de la Commission de Surendettement de la Banque de France. Ce dossier peut être déposé par les deux membres du couple conjointement ou par un seul, selon la nature des dettes concernées.
Après examen de la recevabilité du dossier, qui intervient dans un délai de trois mois, la Commission évalue la situation financière globale du ménage. Elle prend en compte les revenus, le patrimoine, les charges courantes et l’ensemble des dettes. Sur cette base, elle détermine la capacité de remboursement du couple, élément central du futur plan.
Le plan conventionnel de redressement (PCR) constitue la première solution proposée. Il s’agit d’un accord amiable entre les débiteurs et leurs créanciers, négocié sous l’égide de la Commission. Ce plan peut inclure plusieurs mesures:
- Rééchelonnement des dettes sur une durée maximale de 7 ans
- Réduction des taux d’intérêt
- Suspension temporaire des remboursements (moratoire)
- Consolidation de plusieurs prêts en un seul
En cas d’échec des négociations amiables, la Commission peut imposer des mesures, telles que définies dans les articles L.733-1 et suivants du Code de la consommation. Ces mesures imposées peuvent inclure un réaménagement forcé des dettes ou, dans les situations les plus graves, recommander un rétablissement personnel avec ou sans liquidation judiciaire.
Le rôle du juge du tribunal d’instance s’avère déterminant dans certaines configurations. Il intervient notamment pour homologuer les recommandations de la Commission lorsqu’elles impliquent un effacement de dettes ou pour trancher les contestations émanant des créanciers ou des débiteurs.
Les créanciers jouent un rôle actif dans ce processus. Banques, organismes de crédit, administrations fiscales et bailleurs sont sollicités pour accepter les modifications proposées à leurs créances. Leur accord est nécessaire dans le cadre d’un plan conventionnel, mais ils peuvent être contraints d’accepter certaines mesures dans le cadre des recommandations imposées.
L’accompagnement par des associations spécialisées comme Crésus ou Familles Rurales peut s’avérer précieux pour les couples en difficulté. Ces structures offrent un soutien technique pour constituer le dossier et un appui psychologique face à l’épreuve du surendettement.
Le calendrier type d’un plan de réaménagement
Le processus complet, de la constitution du dossier à la mise en œuvre effective du plan, s’étend généralement sur 6 à 12 mois. Pendant cette période, dès le dépôt du dossier déclaré recevable, le couple bénéficie d’une suspension des procédures d’exécution et de l’interdiction pour les créanciers de percevoir des paiements.
Les Spécificités du Surendettement Conjugal selon le Statut du Couple
La gestion du surendettement et l’élaboration d’un plan de réaménagement présentent des particularités propres à chaque forme d’union. Ces spécificités influencent tant la responsabilité face aux dettes que les stratégies de sortie du surendettement.
Pour les couples mariés
Le régime matrimonial constitue le facteur déterminant de la responsabilité financière. Sous le régime de la communauté légale, qui s’applique par défaut en l’absence de contrat de mariage, l’article 1413 du Code civil établit que les dettes contractées par un époux engagent généralement les biens communs et ses biens propres. L’autre époux peut voir ses biens propres saisis uniquement s’il a donné son consentement express à l’acte d’endettement.
Une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (notamment l’arrêt du 27 mai 2014) a précisé que les crédits à la consommation souscrits par un seul époux pour les besoins du ménage engagent solidairement les deux conjoints, même si un seul a signé le contrat.
En cas de séparation de biens, chaque époux reste en principe responsable de ses propres dettes. Néanmoins, l’article 220 du Code civil instaure une solidarité pour les dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Cette solidarité s’applique quelle que soit la forme d’union.
Lors de l’élaboration du plan de réaménagement, la Commission de Surendettement prendra en compte l’ensemble des revenus du couple marié, même si un seul époux est officiellement surendetté. La jurisprudence a validé cette approche, considérant que les ressources du ménage forment un tout indissociable.
Pour les couples pacsés
Les partenaires liés par un PACS connaissent un régime de solidarité intermédiaire. L’article 515-4 du Code civil prévoit une solidarité pour « les dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante ». Cette formulation, plus restrictive que celle applicable aux couples mariés, a été interprétée par la jurisprudence comme excluant généralement les crédits immobiliers ou les prêts importants non destinés aux besoins quotidiens.
La convention de PACS peut préciser les modalités de contribution aux charges communes, ce qui peut influencer l’appréciation de la Commission lors de l’élaboration du plan. Contrairement aux époux, les partenaires pacsés sont soumis par défaut à un régime de séparation de biens, sauf stipulation contraire dans leur convention.
Pour les concubins
Les concubins ne sont liés par aucune solidarité légale pour leurs dettes respectives. Chacun reste responsable de ses propres engagements financiers. Toutefois, des nuances existent:
- Si les deux concubins ont signé conjointement un contrat de crédit, ils sont tous deux engagés
- Si l’un s’est porté caution pour l’autre, il peut être poursuivi en cas de défaillance
- Si un compte joint existe, les deux titulaires peuvent voir ce compte saisi pour les dettes de l’un d’eux
Lors de l’élaboration du plan de réaménagement, la Commission traitera généralement la situation de chaque concubin séparément. Néanmoins, pour évaluer le reste à vivre, elle prendra en compte la contribution du concubin non surendetté aux charges du foyer.
La séparation du couple, quel que soit son statut initial, complexifie considérablement la gestion du surendettement. Le plan de réaménagement devra alors être adapté à la nouvelle situation économique de chacun, en tenant compte des obligations alimentaires éventuelles (pension alimentaire, prestation compensatoire) qui peuvent alourdir la charge financière du débiteur.
Les Mesures de Réaménagement Adaptées aux Situations Conjugales
Le réaménagement des dettes d’un couple surendetté peut prendre diverses formes, adaptées à leur situation particulière. La Commission de Surendettement dispose d’une palette de solutions qu’elle peut mobiliser en fonction de la gravité de la situation et de la configuration familiale.
Le rééchelonnement des dettes
Cette mesure consiste à allonger la durée de remboursement des crédits pour diminuer le montant des mensualités. Pour un couple, cette solution présente l’avantage de maintenir l’intégrité du patrimoine tout en allégeant la pression financière mensuelle. La loi Lagarde de 2010 a fixé la durée maximale de rééchelonnement à 7 ans dans le cadre d’un plan conventionnel.
Le rééchelonnement s’avère particulièrement adapté aux couples propriétaires de leur résidence principale qui souhaitent la préserver. Un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 15 septembre 2017 a confirmé que la protection de la résidence principale constitue un objectif légitime justifiant l’allongement maximal de la durée du plan.
La réduction des taux d’intérêt
La Commission peut négocier avec les créanciers une diminution des taux d’intérêt, voire leur suppression totale dans les cas les plus difficiles. Cette mesure permet de réduire significativement le coût global du crédit et d’accélérer le désendettement du ménage.
Pour les couples avec enfants, cette solution présente l’avantage de libérer rapidement des ressources pour les besoins familiaux essentiels. La jurisprudence reconnaît que la présence d’enfants mineurs constitue un facteur justifiant des mesures plus favorables dans le réaménagement (Cour d’Appel de Lyon, 12 janvier 2018).
Les moratoires et effacements partiels
Dans certaines situations, notamment lorsque les revenus du couple sont temporairement réduits (chômage, congé parental, maladie), la Commission peut accorder un moratoire, c’est-à-dire une suspension temporaire des remboursements. Cette période, généralement limitée à 24 mois, permet au ménage de reconstituer une capacité financière.
L’effacement partiel des dettes constitue une mesure plus radicale, réservée aux situations dans lesquelles, même après rééchelonnement et réduction des taux, le couple demeure dans l’incapacité de faire face à ses engagements. Le Code de la consommation prévoit cette possibilité dans ses articles L.733-7 et suivants.
La procédure de rétablissement personnel
Pour les couples en situation financière irrémédiablement compromise, la procédure de rétablissement personnel (PRP) représente l’ultime recours. Cette procédure entraîne l’effacement total des dettes non professionnelles, à l’exception de celles exclues par la loi (amendes pénales, dettes alimentaires, dettes frauduleuses…).
Deux variantes existent:
- La PRP sans liquidation judiciaire, lorsque le couple ne possède aucun bien de valeur significative
- La PRP avec liquidation judiciaire, qui implique la vente des biens non indispensables pour désintéresser partiellement les créanciers
La jurisprudence a précisé que, dans le cas d’un couple marié sous le régime de la communauté, la PRP prononcée pour un seul des époux n’entraîne pas l’effacement de la dette pour l’autre conjoint (Cour de Cassation, 2e chambre civile, 27 février 2020).
Les mesures complémentaires adaptées aux couples
Au-delà des dispositifs classiques, certaines mesures spécifiques peuvent être mobilisées pour les couples:
La consolidation des dettes consiste à regrouper plusieurs crédits en un seul, simplifiant la gestion financière du ménage et réduisant souvent le taux d’intérêt global. Cette solution est particulièrement adaptée aux couples ayant contracté de multiples crédits à la consommation.
L’aide au logement peut être réévaluée dans le cadre d’un plan de réaménagement. Le Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL) peut intervenir pour aider au maintien dans le logement d’un couple surendetté, particulièrement lorsque des enfants sont présents.
Enfin, la médiation familiale financière peut accompagner les couples traversant simultanément des difficultés relationnelles et financières. Ce dispositif, reconnu par la loi du 4 mars 2002, permet d’établir des accords équitables sur la contribution de chacun au redressement financier du ménage.
Stratégies Préventives et Perspectives d’Avenir pour les Couples Endettés
Au-delà du traitement curatif du surendettement, la prévention et la projection vers un avenir financier assaini représentent des enjeux majeurs pour les couples. La sortie durable du surendettement nécessite une transformation profonde des habitudes financières et une vigilance constante.
L’éducation financière du couple
La méconnaissance des mécanismes financiers constitue souvent un facteur aggravant du surendettement conjugal. Les Points Conseil Budget, dispositif généralisé depuis 2019, offrent un accompagnement gratuit aux ménages désireux d’améliorer leur gestion budgétaire. Ces structures, labellisées par l’État, proposent des conseils personnalisés et des outils pratiques adaptés à chaque situation.
La Banque de France, à travers son portail d’éducation financière Mes Questions d’Argent, met à disposition des ressources pédagogiques accessibles. Des modules spécifiques abordent la gestion budgétaire en couple et les précautions à prendre lors de l’engagement dans un crédit commun.
Des formations spécifiques sont proposées par certaines associations comme Finances & Pédagogie, qui organise des ateliers pratiques sur la gestion budgétaire familiale. Ces sessions permettent aux couples de développer des compétences concrètes:
- Établissement d’un budget mensuel réaliste
- Techniques de suivi des dépenses
- Anticipation des charges exceptionnelles
- Épargne de précaution adaptée à la configuration familiale
La sécurisation juridique des engagements financiers
Pour prévenir les situations de surendettement futur, plusieurs dispositifs juridiques peuvent être mobilisés par les couples. Le mandat de protection future, instauré par la loi du 5 mars 2007, permet à un conjoint de désigner à l’avance la personne qui gérera ses affaires financières en cas d’incapacité.
Le changement de régime matrimonial, procédure simplifiée depuis la loi du 23 mars 2019, peut constituer une stratégie pertinente pour les couples ayant connu un épisode de surendettement. Le passage à un régime de séparation de biens peut protéger le patrimoine reconstitué après l’épreuve financière.
L’établissement d’une convention de contribution aux charges du ménage, particulièrement recommandée pour les concubins et partenaires pacsés, permet de clarifier les responsabilités financières de chacun et d’éviter les déséquilibres pouvant conduire au surendettement.
Les dispositifs d’alerte précoce
Depuis la loi Hamon de 2014, les établissements de crédit ont l’obligation de mettre en place des mécanismes de détection précoce des difficultés financières de leurs clients. Le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) joue un rôle d’alerte, mais peut également constituer un obstacle à la reconstruction financière.
Les commissions de surendettement ont développé une mission préventive, en complément de leur rôle curatif traditionnel. Elles peuvent être consultées par les couples qui perçoivent les premiers signes de fragilité financière, avant même que la situation ne bascule dans le surendettement caractérisé.
Le droit au compte bancaire, garanti par l’article L.312-1 du Code monétaire et financier, assure l’accès aux services bancaires de base même après un épisode de surendettement. Cette disposition s’avère fondamentale pour permettre la réinsertion économique des ménages ayant connu des difficultés.
Les perspectives d’évolution législative
Le cadre juridique du surendettement continue d’évoluer pour s’adapter aux réalités socio-économiques. Plusieurs pistes de réforme sont actuellement discutées:
L’instauration d’un fichier positif recensant l’ensemble des crédits contractés par les particuliers permettrait une meilleure prévention du surendettement. Ce dispositif, en vigueur dans plusieurs pays européens, fait l’objet de débats récurrents en France.
Le renforcement de la protection du conjoint non signataire d’un crédit constitue une autre piste d’évolution. Un projet de directive européenne prévoit d’étendre l’obligation d’information au conjoint non emprunteur pour les crédits immobiliers et les prêts de montant significatif.
L’adaptation des procédures aux nouvelles formes d’endettement, notamment celles liées au développement du paiement fractionné et des mini-crédits en ligne, représente un enjeu majeur. Ces modalités d’endettement, qui échappent parfois aux dispositifs classiques de prévention, touchent particulièrement les jeunes couples.
La réussite d’un plan de réaménagement repose fondamentalement sur la mobilisation conjointe des deux membres du couple. L’expérience montre que l’adhésion des deux partenaires à la démarche constitue un facteur déterminant du succès à long terme. Cette dimension psychologique et relationnelle, longtemps négligée, fait désormais l’objet d’une attention accrue de la part des acteurs de l’accompagnement au désendettement.
